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Pourquoi la SEC n’a-t-elle pas attrapé Madoff ? Parce qu’on lui aurait donné des instructions.

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Source : article paru le 31 mai 2013 sur le site de Rolling Stone USA

Auteur : Matt Taibbi

Traduction : SuperNo

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De plus en plus d’histoires embarrassantes continuent à fuiter de la SEC, qui commence à ressembler à quelque chose de pire que de la corruption – c’est difficile de trouver les mots exacts, mais « agressivement ignorants » n’est pas loin de résumer l’atmosphère qui règne chez les premiers gendarmes financiers du pays.

La contribution la plus récente au canevas de plus en plus large de dysfonctionnement et d’incompétence qui entoure la SEC est une plainte déposée par Kathleen Furey, 56 ans, avocate senior qui a travaillé au bureau régional de New York (NYRO), l’agence détachée aux pouvoirs de juridiction directe sur New York.

La plainte de Mme Furey regorge de révélations surprenantes à propos de la SEC, mais la plus incroyable d’entre elles est que son supérieur lui ait en fait interdit, ainsi qu’à la vingtaine d’autres avocats qui travaillent dans son unité au NYRO, d’apporter des affaires qui concernent deux des quatre lois sur les valeurs mobilières (NdT : on désigne ainsi les actions et obligations) qui régissent Wall Street, l’Investment Advisors Act de 1940 et l’Investment Company Act de 1940.

Selon Mme Furey, son groupe au bureau de New York de la SEC, au cours d’une période de plus de 5 ans jusqu’en décembre 2008, n’a pas, suivant en cela une politique, engagé de poursuites contre des gestionnaires d’investissements comme Bernie Madoff. Madame Furey affirme que son patron, le directeur régional adjoint George Stepaniuk, lui a dit textuellement : « On ne traite pas les affaires de gestion d’investissements ».

Quelques rappels sont nécessaires pour expliquer le sens de cette histoire.

Il y a quatre lois principales que la SEC utilise pour réguler le secteur financier. Au moins pour ce qui est des chiffres, l’agence a un passé plutôt fourni en matière d’actions répressives pour les deux premières, qui concernent les marchés de valeurs mobilières.

Le premier d’entre eux est le Securities Act de 1933, qui est aussi souvent appelé « Lois sur le ciel bleu » (NdT : des lois censées protéger les investisseurs des charlatans qui leur vendraient des produits basés sur un bout de ciel bleu!), et qui entre autres choses établit les règles qui exigent une diffusion publique d’informations pertinentes aux investisseurs en valeurs mobilières (NdT : c’est une loi du même type qui oblige les banquiers et assureurs français à ajouter « risque de perte en capital » après le baratin commercial qui promet des rendements affriolants aux assurances vie ou autres supports de boursicotage plus ou moins foireux).

Le deuxième est le Security Exchange Act de 1934, qui régit les valeurs mobilières déjà émises, et qui comprend la loi qui interdit le délit d’initié. Le premier objectif de ces deux lois est d’empêcher la fraude sur les marchés de valeurs mobilières.

Mais le tableau de chasse de l’agence est un peu moins reluisant s’agissant des deux autres parties de la législation, « l’Investment Advisors Act » de 1940 et « l’Investment Company Act » de 1940. Ce sont les principaux outils de l’agence pour poursuivre la fraude et la malfaisance impliquant les personnes qui gèrent l’argent d’autres personnes – fonds mutuels, hedge funds, gestionnaires d’actifs. Quelqu’un comme Bernie Madoff, qui a collecté des milliards venant d’investisseurs et a simplement volé l’argent au lieu de l’investir, serait largement concerné par ces deux dernières lois.

Kathleen Furey a rejoint la SEC en septembre 2004, au départ en tant que conseiller juridique au département répression. Elle a fait son chemin au sein de l’agence, et a été promue trois fois au cours des trois dernières années.

Puis en 2007, Madame Furey a commencé à travailler sur une affaire impliquant Value Line, une famille de fonds mutuels haut de gamme accusée de facturer des dizaines de millions de dollars de commissions fictives. C’est une plainte qui a fait apparaître la compagnie sur les radars de la SEC en 2004, mais les huiles de l’agence n’avaient pas encore donné leur accord à une investigation formelle, nécessaire à une assignation.

Lorsqu’elle a essayé de passer à cette étape suivante dans l’affaire Value Line, Mme Furey dit en avoir été empêchée. C’est à cette occasion qu’elle a affirmé que M. Stepaniuk lui avait balancé sa politique de « On ne traite pas les affaires de gestion d’investissements ». Enervée, et convaincue que le directeur adjoint du bureau de New York n’avait pas d’autorité pour décider à lui seul de ne pas mettre en œuvre deux parties fondamentales du mandat de régulation de la SEC, Mme Furey fit appel au supérieur de M. Stepaniuk au NYRO.

Selon la plainte de Mme Furey, ce dirigeant, au lieu de l’aider à dégager les obstacles pour faire avancer l’enquête, lui a laissé deux choix : il lui a dit qu’elle pouvait soit retirer sa déclaration selon laquelle on lui avait dit de ne pas poursuivre « les affaires de gestion d’investissements », soit aller devant l’inspecteur général de la SEC. Il se trouve que Mme Furey, dans ses accusations internes concernant spécifiquement cette affaire avait prévenu que l’agence devait commencer à appliquer la section 206 de l’Investment Advisers Act, qui interdisait aux gestionnaires financiers d’employer « tout appareil, système ou artifice dans le but de tromper tout client ou prospect ». Elle avait indiqué qu’engager des poursuites à ce titre « pourrait éviter à l’agence des désagréments futurs ». La section 206 est précisément l’article ‎ que la SEC a finalement invoqué à la fois dans l’affaire Value Line (des années plus tard) et dans l’affaire contre Bernie Madoff.

Ce rappel est la clé pour comprendre la chronologie de la réponse de la SEC, aussi bien dans l’affaire Madoff que dans les affaires de gestion d’investissements en général.

Dans la plainte de Mme Furey, elle cite des statistiques qui constituent des indices troublants de l’existence réelle d’une espèce de politique en place qui empêchait son groupe de s’attaquer aux conseillers en investissement. Sur la période allant du 1er janvier 2002 jusqu’à janvier 2009, le groupe de M. Stepaniuk n’a pas traité une seule affaire tombant sous le coup de l’Investment Advisors Act (IAA) ou l’Investment Company Act (ICA).

Durant cette période, M. Stepaniuk aurait approché la commission 60 fois avec des demandes de prise en compte d’affaires ou d’ouverture enquêtes formelles, ce qui, à nouveau, est obligatoire pour engager des poursuites.  Sur ces 60 affaires, une seule, l’enquête sur Value Line ouverte le 18 avril 2008, était une affaire de gestion d’investissements.

Par une coïncidence pas-si-incroyable, le 18 avril 2008 se trouve être la date à laquelle l’inspecteur général de la SEC a publié un rapport qui pointait en partie l’incapacité apparente du bureau à prendre en compte cette même affaire Value Line. Autrement dit, la SEC semblait ne pas avoir bougé sur Value Line avant qu’elle ne devienne une affaire publique.

Encore plus terrible, de toute façon, fut la réaction après le dénouement de l’affaire Madoff, vers la toute fin de 2008. Le scandale a incroyablement embarrassé la SEC, qui n’avait jamais réussi à enquêter sur Madoff malgré qu’elle en ait été informée d’une manière extraordinairement détaillée par l’enquêteur Harry Markopolos plus de 8 années auparavant.

Il s’est avéré que Madoff n’avait pas simplement volé ses clients, mais qu’il n’avait jamais effectué la moindre transaction, se contentant de les dépouiller de leur argent dans le système de Ponzi le plus primitif que l’on puisse imaginer. (NdT : une chaîne de Ponzi est une escroquerie dans laquelle un gros malin promet à des clients naïfs et cupides que l’argent qu’il investira pour eux leur rapportera un taux d’intérêt confortable (dans le cas de Madoff, 10 à 15 % l’an), alors qu’il n’investit rien du tout et se contente de payer les prétendus intérêts des premiers « investisseurs » avec l’argent des nouveaux venus. Pour fonctionner, le système nécessite de trouver un nombre toujours plus grand de pigeons, jusqu’au jour au, inéluctablement, tout s’écroule, notamment quand, dans le cas de Madoff, les « investisseurs » paniqués par la crise veulent tous récupérer leur pognon)  .

Cela signifie que la SEC aurait dû être capable de découvrir l’escroquerie, même avec l’examen le plus superficiel, à n’importe quel moment de l’existence du fonds.

Sans surprise, début 2009, la SEC a été accusée par les membres du Congrès des deux partis – un développement institutionnel terriblement troublant étant donné que le Congrès contrôle le budget des régulateurs.

Et alors comment l’agence a-t-elle réagi ? Après n’avoir instruit aucune « affaire de gestion d’investissements » pendant des années, les 9 prochaines affaires du groupe NYRO à partir de janvier 2009 ont toutes été des affaires IAA ou ICA.

Lorsque j’ai contacté la SEC, j’ai dit clairement que s’ils pouvaient produire la moindre preuve que les statistiques de Mme Furey étaient bidon, que le département de M. Stepaniuk avait en réalité traité des affaires IAA ou ICA pendant la période en question, alors je ne parlerais sans doute pas de sa plainte.

Mais quand j’ai demandé à l’agence des détails sur cette questions, ils ont cherché à noyer le poisson. D’abord, ils ont envoyé une liste de 14 affaires de gestionnaires d’investissements poursuivies par le bureau de New York de la SEC entre 2006 et 2009. Lorsque j’ai demandé combien d’entre elles avaient été initiées par le groupe de M. Stepaniuk, il s’est avéré qu’il n’y en avait qu’une seule – une affaire contre Henry « Hank » Morris , qui récoltait des fonds pour le compte du contrôleur de New York Alan Hevesi. Mais cette affaire a été jugée en mars 2009, juste après l’épilogue de l’affaire Madoff. C’était totalement cohérent avec les affirmations de Mme Furey, selon lesquelles son groupe n’avait tout simplement pas instruit d’affaires de gestion d’investissements avant Madoff.

Quand je le leur ai fait remarquer, ils m’ont envoyé une autre liste d’affaires, dont deux semblaient avoir été traitées par le groupe de M. Stepaniuk avant l’affaire Madoff. L’une des deux, « SEC contre Kevin Dunn »  mettait en cause un courtier en bourse de MetLife accusé d’avoir arnaqué la veuve d’un policier de l’autorité portuaire décédé lors des attentats du 11 septembre.

Alors qu’il n’y a pas de doute quant à la pertinence de la poursuite, il s’avère que cette affaire n’est pas non plus une « affaire de gestion d’investissements » Dunn a été exclusivement accusé de violation des vieilles lois « 33 » et « 34 ». Les deux seules références à l’IAA dans toute l’affaire étaient des faits totalement externes.

L’une d’entre elle était que MetLife , qui n’a pas du tout été accusée dans cette affaire et qui était simplement l’employeur de Dunn, était un conseiller en investissement patenté. Le second était que Dunn, comme condition de sa condamnation, avait accepté d’être à l’avenir interdit de toute affiliation à des courtiers ou conseillers en investissements officiels,

Affirmer que c’était une affaire de gestion d’investissements était un peu comme m’envoyer une affaire impliquant un courtier en bourse qui aurait commis un délit d’initié en survolant le bureau d’une société d’investissements dans une montgolfière – et proclamer qu’il s’agissait d’une « affaire de gestion d’investissements ». C’était dingue.

L’autre affaire qu’ils m’ont envoyée était… SEC contre Value Line !

Le fait que la SEC essaie de discréditer Mme Furey et de mettre en avant sa propre exemplarité dans les affaires de gestion d’investissements en citant précisément l’enquête perturbée qui avait conduit Mme Furey à tirer la sonnette d’alarme pour la première fois en dit long sur la désorganisation dont l’agence semble désormais souffrir.

La SEC avait noté que l’inspecteur général, il y a de ça des années, n’avait pas pu trouver de preuves concordantes de l’affirmation de Mme Furey selon laquelle M. Stepaniuk lui avait dit qu’il existait une politique sur les « affaires de gestions d’investissements ». Mais ce qui avait été ou non dit n’est pas le plus important dans cette histoire .

Ce qui importe vraiment est que Mme Furey soit tout à fait fondée – dans ces emails et autres plaintes – à se plaindre de l’absence d’action dans ce domaine, même avant la conclusion de l’affaire Madoff. Et il n’y a guère de doute que la liste des affaires de gestion d’investissements avant Madoff n’existe tout simplement pas.

Puisqu’il s’agit de la SEC, l’histoire ne se résume malheureusement pas à l’échec d’un département clé de l’agence à réguler un secteur tout entier du monde de la finance avant qu’un système de Ponzi de 60 milliards de dollars ne lui pète à la gueule.  Dans cette affaire, ils ont aussi continué à faire preuve d’incapacité à prendre en compte les lanceurs d’alertes, un problème qui a bien sûr été généralisé sous les deux dernières administrations présidentielles, mais de manière particulièrement aiguë à la SEC.

Le journaliste de référence William Cohan a décrit avec force détails dans un article de Bloomberg la lutte de Mme Furey au sein de la SEC après qu’elle a lancé son alerte.

Comme l’explique Cohan, Mme Furey s’est heurtée à toutes les âneries habituelles après avoir pris son initiative et s’être plainte de l’impossibilité d’apporter des « affaires de gestion d’investissements » : elle a été méprisée par ses supérieurs, tenue à l’écart des affaires sensibles, et privée de promotions.

De plus, lorsque Mme Furey a demandé en 2010 au directeur de l’époque du NYRO George Canellos si sa carrière était bloquée à cause de son lancement d’alerte, il lui a fourni une réponse intéressante. Elle affirme qu’il lui a répondu en disant que c’étaient les gens au bureau de New York qui n’étaient « pas fans » de ce qu’elle avait fait.

Aujourd’hui, Canellos occupe l’un des postes les plus élevés de la SEC. Avec Andrew Ceresney, qui a travaillé avec la nouvelle chef Mary Jo White en tant qu’associé de son ancienne société Debevoise and Plimpton, il dirige la division répression de la SEC.

Mme Furey déclare que pendant une période, le niveau de son salaire ne reflétait pas ses responsabilités réelles – sans tomber dans le jargon, Mme Furey estimait être payé au niveau de fonctionnaire « SK-14 » alors qu’en réalité elle avait des responsabilités de « SK-16 ». Puisque Canellos et d’autres responsables n’ont pas répondu directement à ses plaintes, elle a réclamé un « audit de bureau » externe, une procédure gouvernementale des laquelle des responsables extérieurs évaluent les attributions d’un employé de l’agence. L’auditeur externe attribua à Mme Furey un score parfait de 1760 sur 1760. Il reconnut qu’elle travaillait au niveau de « SK-16 », et recommanda que si elle restait à ce poste, elle bénéficie d’une promotion.

Au lieu de ça, la SEC et Canellos lui enlevèrent des responsabilités, ce qui revient à la rétrograder au lieu de se conformer aux recommandations de l’audit du bureau, une action suffisamment rare pour que le département ressources humaines de l’agence soit obligé de vérifier si c’était légal (selon l’avocat de Mme Furrey, cette vérification ne s’est faite qu’après la rétrogradation)

Pendant ce temps, la SEC prétend que Mme Furey n’avait occupé ce poste plus élevé qu’à titre temporaire, comblant un poste vacant du fait de la promotion d’un responsable, et que l’agence « avait dû » la rétrograder. « D’une manière générale, les managers ne sont pas autorisés à donner indéfiniment à un employé un travail au dessus de son niveau hiérarchique », dit le porte-parole de la SEC John Nester. « S’il n’y a pas de poste de plus haut niveau pour lequel une embauche a été approuvée, les managers doivent retirer les responsabilités de plus haut niveau ».

Encore pire, ni M. Stepaniuk ni M. Canellos n’ont fait le moindre commentaire sur les allégations de Mme Furey. Même si pour un lecteur extérieur beaucoup de ces faits ont tout l’air d’une guéguerre interne inepte, ils forment un schéma plus vaste à l’intérieur de l’agence. Depuis des années, les gens qui sortent du rang et tentent de presser la SEC d’engager des poursuites dans des affaires importantes ont souvent été traités de manière lamentable, quand ce n’est pas avec une hostilité affichée.

C’était aussi vrai des gens à l’extérieur de la SEC, comme Harry Markopoulos ou Leyla Wydler qui ont présenté les informations sur le système de Ponzi de Stanford http://video.foxbusiness.com/v/3892262/exclusive-stanford-whistle-blower/ (NdT : Allen Stanford, un autre Madoff ), tout ça pour se faire snober par la SEC. Aussi bien l’affaire Madoff que l’affaire Stanford, qui se trouvent être des « affaires de gestion d’investissements », ont fait boule de neige pour se transformer en désastres de bien plus grande ampleur que nécessaire, tout ça parce que l’agence a envoyé péter ces deux lanceurs d’alerte.

L’agence a aussi un passé peu glorieux avec ses lanceurs d’alertes au sein de la SEC, comme l’ancien enquêteur Gary Aguirre qui devint célèbre pour avoir obtenu une transaction de 755 000 dollarscontre la SEC pour rupture abusive de contrat après avoir été viré pour avoir essayé de dénoncer un délit d’initié contre le futur patron de Morgan Stanley John Mack

Ironie du sort, c’est maintenant Aguirre qui défend Mme Furey, et on a parfois l’impression de revivre les mêmes histoires encore et encore avec cette agence. Les même types de créatures politiques aveugles continuent à être promues aux postes les plus élevés, tandis que les enquêteurs de terrain qui travaillent dur et essaient simplement de faire leur travail continuent à se heurter aux mêmes ridicules problèmes internes. Ils doivent avoir une petite idée, finalement – n’est-ce pas ?


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